Communiqué : L’Etat de droit, j’y crois!

L’Etat de droit, j’y crois!

La situation financière et sociale particulièrement difficile pour une grande partie de la population depuis la survenance du Covid et, plus récemment, de la guerre en Ukraine, ne doit pas faire oublier l’importance d’une justice accessible et efficace pour l’ensemble des citoyens.

Depuis plus d’un an, la Belgique est le théâtre d’une violation grave des principes fondamentaux de l’Etat de droit, d’une ampleur inédite et extrêmement préoccupante, à savoir l’inexécution de milliers de décisions de justice par le gouvernement. Il s’agit notamment, mais pas uniquement, des jugements en matière d’accueil des demandeurs d’asile, pour lesquels les tribunaux du travail, les tribunaux de première instance, mais également la Cour européenne des droits de l’homme ont constaté la violation par l’Etat belge de ses engagements internationaux et des lois belges en vigueur. En cette matière, le politique ne peut se contenter de soutenir chercher des solutions ou de faire état d’accords comme tout récemment ; chaque nuit passée à la rue par un demandeur de protection internationale place la Belgique en situation d’infraction. Seuls les actes comptent.

Le constat des atteintes à l’Etat de droit par le non-respect de décisions de justice est bien plus large que celui lié à cette « crise ». L’Etat belge a ainsi été condamné à de nombreuses reprises pour l’état de ses prisons en lien avec la surpopulation carcérale, pour le non-remplissage des cadres de magistrats, etc. Ce ne sont malheureusement que des exemples sans cesse plus nombreux.

Cela n’est pas sans lien avec la polémique entretenue par certains quant au rôle du juge dans une démocratie. Le pouvoir judiciaire a été conçu dès l’origine comme un « contrepouvoir », contrôlant, et sanctionnant si besoin, les actes du pouvoir exécutif. Or, en Belgique comme ailleurs, ce rôle de garde-fou contre les dérives du politique, est remis en question par certains partis politiques. Ceux-ci préféreraient que les magistrats se limitent à exécuter les lois et les décisions, sans plus s’assurer que les règles appliquées sont conformes à la Constitution et aux droits fondamentaux. S’appuyant sur leur légitimité électorale, ils voudraient limiter le pouvoir du juge, oubliant que celui-ci s’appuie sur des règles de droit et un débat contradictoire. Les inquiétudes quant au maintien d’un Pouvoir judiciaire indépendant sont en outre réelles : le gouvernement aurait actuellement pour projet d’introduire un droit de veto sur la nomination des magistrats par le biais de l’avis d’une autorité administrative sans contradiction possible.

Depuis 2015, les acteurs de la justice se mobilisent, en Belgique, pour dénoncer le manque criant de moyens et les répercussions de ce financement insuffisant sur l’accès à la justice et le droit à un procès rapide et efficace.

En 2019, dans le cadre de la campagne électorale fédérale, l’ensemble des avocats, magistrats et associations de défense des droits humains avait synthétisé lesrevendications en six points. Cellesci sont exclusivement tournées vers une amélioration du fonctionnement de la justice, ses acteurs s’engageant à continuer à œuvrer, au quotidien, à faire un travail de qualité.

Nos demandes étaient les suivantes :

1. Une Justice accessible à tous, ce qui implique la levée des barrages financiers (facilitation du bénéfice de l’aide juridique, réduction des frais de procédure), géographiques (proximité des lieux de justice) et procéduraux (simplification des procédures).

2. La mise en œuvre de la mesure de la charge de travail, qui permettra une répartition transparente des ressources. Dans l’attente d’un outil fiable de cette mesure, le respect des cadres (magistrats, greffiers et personnel des greffes et parquets) doit être assuré dans toutes les juridictions et tous les parquets du pays.

3. La mise en œuvre d’une gestion autonome indépendante, qui permet au pouvoir judiciaire de statuer sur des litiges individuels en toute indépendance. Celle-ci devrait être administrée par le pouvoir judiciaire sous le contrôle du Parlement et de la Cour des comptes pour ce qui concerne les ressources financières.

4. Une Justice bien équipée en infrastructures, avec des palais de justice qui répondent aux exigences légales en matière de sécurité et d’accessibilité.

5. Une Justice numérisée performante, mise en œuvre et financée dans un cadre légal clair, permettant aux différents acteurs de la Justice de travailler plus efficacement et rapidement.

6. Un service public conforme aux exigences de l’État de droit qui ne répond pas à la seule logique du chiffre mais vise à tout moment la qualité, offrant au justiciable une réponse à ses questions et préoccupations dans un délai raisonnable.

En 2023, quatre ans plus tard, nous pouvons nous réjouir d’une amélioration de certains points, notamment quant à l’informatisation, l’engagement de nouveaux magistrats et référendaires ou l’augmentation des seuils d’accès à l’aide juridique (avocat pro deo).

Ces points positifs ne doivent toutefois pas occulter que, dans de nombreuses juridictions et parquets, les moyens humains sont gravement insuffisants – tant au niveau des magistrats que des greffiers et du personnel administratif – pour assurer un suivi des dossiers endéans des délais acceptables. Cette insuffisance de moyens est délétère, en ce qu’elle augmente l’arriéré judiciaire, oblige le parquet à classer sans suite des dossiers qui mériteraient d’être poursuivis, impose une charge de travail excessive au personnel judiciaire, ce qui conduit à son tour à de nombreux épuisements et burn-out.

Par ailleurs, le manque de moyens induit un sentiment d’amertume et de colère auprès de la population, qui a l’impression que la justice se désintéresse de ses problèmes et laisse se poursuivre des situations de non-droit inacceptables.

Ces difficultés rendent aussi difficile l’exercice de la profession d’avocat, notamment dans sa fonction de relais entre la justice et le justiciable. Il est clair qu’un État de droit digne de ce nom nécessite des moyens suffisants. Il nous appartient à tous de veiller à ce que le pouvoir judiciaire dispose des moyens nécessaires pour mener à bien sa mission.

Tous les citoyens et toutes les entreprises doivent pouvoir compter sur une protection par et contre les pouvoirs publics en recourant à la justice, et surtout les plus vulnérables d’entre eux. En ce 20 mars 2023, il demeure nécessaire d’attirer l’attention sur les fragilités de notre Etat de droit et de rappeler à nos gouvernements et à l’ensemble des citoyens qu’une justice indépendante et de qualité constitue à la fois un service public et un bien commun, fondement du vivre-ensemble, de la sécurité et de la paix sociale.

Partenaires :

AVOCATS.BE (Pierre SCULIER), Association Syndicale des Magistrats (ASM) (Marie MESSIAEN), Union Professionnelle de la Magistrature (UPM) (Vincent MACQ), Union royale des juges de paix et de police (URJPP-KVVP) (Christine BRÜLS), Ligue des droits humains (Pierre-Arnaud PERROUTY), Syndicat des Avocats pour la Démocratie (Hélène DEBATY), Magistratuur & Maatschappij (M&M) (Bruno LIETAERT et Evelien DE KEZEL), Vereinigung der deutschsprachigen Magistrate (VDM) (Marc LAZARUS), Liga voor mensenrechten (Kati VERSTREPEN), De Adviesraad van de Magistratuur – Le Conseil Consultatif de la Magistrature (ARM-CCM)