Archives pour la catégorie Recours juridictionnels

16 JANVIER 2017 : LA RESTRICTION DE L’AIDE JURIDIQUE ATTAQUÉE PAR LE MONDE ASSOCIATIF DEVANT LA COUR CONSTITUTIONNELLE

L’aide juridique permet à des justiciables qui n’ont pas les moyens de financer un avocat de se voir désigner un avocat rémunéré par l’État belge.

 Les associations requérantes[1] ont déposé un recours auprès de la Cour constitutionnelle contre la loi du 6 juillet 2016 qui a réformé l’aide juridique.

 Toutes ces associations ont en commun de travailler, notamment, avec des bénéficiaires de l’aide juridique. Elles constatent que, depuis l’entrée en vigueur de la loi, leurs usagers peinent à se voir désigner un avocat.

 La nouvelle loi prévoit en effet une réforme en profondeur de l’aide juridique :

 L’accès à l’aide juridique est restreint : ainsi, même une personne bénéficiaire du CPAS n’est plus présumée pouvoir bénéficier de l’aide juridique et doit démontrer, documents à l’appui, son indigence ;

  • Une contribution (forme de « ticket modérateur ») est due par désignation d’avocat (20 euros) et par instance (30 euros), même pour les bénéficiaires de l’aide juridique totalement gratuite ; en cas de procédure complexe, le montant total peut donc être élevé puisqu’à chaque nouvelle instance, un nouveau montant de 30 euros est dû ;
  • Le système de rémunération des avocats travaillant dans le cadre de l’aide juridique est complètement revu ; aucune information ni garantie n’est apportée quant au montant de la rémunération à laquelle ils pourront prétendre, de sorte que ces avocats ne sauront pas avant mi-2018 combien ils seront payés pour les prestations qu’ils effectuent actuellement.

Ce nouveau système entraîne également une surcharge administrative démesurée pour les justiciables et les avocats. En effet, les justiciables doivent à présent démontrer qu’ils n’ont pas de « moyens d’existence », ce qui revient dans de nombreux cas à fournir une preuve négative très difficile à rapporter. Ceci implique, pour des personnes déjà fragilisées, d’effectuer des démarches complexes en vue de rassembler des documents, sans aucune garantie que la désignation d’avocat sera acceptée in fine. Si l’affaire est urgente, le risque est grand que l’avocat ne puisse pas intervenir à temps. Face à la lourdeur de la tâche, certaines personnes renoncent tout simplement à faire valoir leurs droits.

De leur côté, les avocats ne sont pas indemnisés pour l’accompagnement et le conseil qu’ils prodiguent à leurs clients quant aux démarches à effectuer pour obtenir une désignation. Il s’agit pourtant souvent de plusieurs rendez-vous avec le client, puis de contacts avec le bureau d’aide juridique. Ajouté à l’incertitude totale qui plane sur le montant de la rémunération qu’ils percevront, et à la dévalorisation générale de leur rémunération dans la majorité des matières, ceci a pour conséquence que de nombreux avocats renoncent à intervenir dans le cadre de l’aide juridique. À titre d’exemple, la section « surendettement » du bureau d’aide juridique francophone de Bruxelles a vu le nombre de ses avocats permanents diminuer de moitié depuis l’entrée en vigueur de la loi, le 1er septembre dernier. Elle envisage à présent de fermer purement et simplement ses portes. Ceci aurait pour conséquence que le bureau d’aide juridique francophone de Bruxelles ne serait plus en mesure de désigner un avocat à une personne surendettée… qui n’aurait donc plus qu’à se débrouiller toute seule ! Une situation similaire risque d’ailleurs de se produire dans la majorité des autres matières.

Confrontées à ces différents constats, et à la difficulté concrète de trouver encore des avocats disposés à assister leurs usagers, une vingtaine d’associations a donc décidé d’attaquer cette réforme. Plusieurs d’entre elles avaient déjà attaqué les arrêtés d’exécution de la loi devant le Conseil d’État. L’affaire y est toujours en cours ; comme devant la Cour constitutionnelle, son traitement devrait prendre encore de nombreux mois.

 Le SAD est d’autant plus inquiet que cette réforme s’inscrit dans le cadre d’autres modifications législatives réduisant à chaque fois un peu plus le droit d’accès à la Justice des plus démunis (Loi introduisant l’indemnité de procédure – Loi augmentant les droits de greffe – Loi imposant la TVA sur les prestations d’avocats – etc.).

 Pourtant sans Justice, il n’y a pas de Démocratie possible.

 Si vous aussi, vous avez rencontré/constaté des difficultés d’accès à la justice en raison de l’entrée en vigueur de cette nouvelle législation, vous pouvez en témoigner en remplissant le formulaire disponible en pdf ci-dessous et en l’envoyant au SAD (par fax : 02/503.62.08 ou par mail da@avocat.be)

PDF du formuaire : Témoignage

[1] Il s’agit des ASBL suivantes: Aimer Jeunes, Association pour le Droit Des Etrangers, Association Syndicale des Magistrats, ATD Quart Monde en Belgique – ATD Vierde Wereld in België, Belgisch Netwerk Armoedebstrijding – Réseau belge de Lutte contre la Pauvreté, Atelier des droits sociaux, Bureau d’Accueil et de Défense des Jeunes, Défense des Enfants – International – Belgique – Branche francophone, Intact, Ligue des Droits de l’Homme, Luttes Solidarités Travail, Organisatie voor Clandestiene Arbeidsmigranten, Point d’appui, Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté, Service d’action sociale bruxellois, Service international de recherche, d’éducation et d’action sociale, Syndicat des Avocats pour la Démocratie, Vlaams Netwerk van verenigingen waar armen het woord nemen, Vluchtelingenwerk Vlaanderen, Woman’do.

Le Juge en prison : mise à mal des droits de la défense et de l’indépendance de la Justice

25 mai 2015

 

Le Juge en prison : mise à mal des droits de la défense et de l’indépendance de la Justice

Deux lois, du 25 avril 2014 et du 8 mai 2014, ont modifié le Code judiciaire de manière à permettre aux chambres du conseil et aux chambres des mises en accusation, juridictions chargées de contrôler la légalité et l’opportunité de la détention préventive, de siéger dans les prisons. Ces lois établissent également le principe selon lequel les Tribunaux de l’application des peines (TAP) siègent en tous les cas en prison lorsque le condamné est détenu.

L’objectif poursuivi par le législateur est à la fois budgétaire et sécuritaire, puisqu’il vise à limiter les extractions et déplacements des détenus vers les palais de justice.

Faire siéger les juridictions dans les prisons est une mesure inacceptable pour le S.A.D. et ce, tant pour des raisons de principe liées au respect des droits de la défense et à la conception que nous défendons d’une justice indépendante, que pour des raisons pratiques.

Le SAD a dès lors décidé, avec l’Ordre des Barreaux Francophones et Germanophones (OBFG) et l’Association Syndicale des Magistrats (ASM), de se joindre au recours introduit devant la Cour constitutionnelle par l’Ordre flamand des avocats (OVB).

Incitation indirecte au terrorisme, pour la Cour constitutionnelle tout est clair

28 janvier 2015

Incitation indirecte au terrorisme, pour la Cour constitutionnelle tout est clair

Dans son arrêt du 28 janvier 2015, la Cour constitutionnelle avalise l’incrimination de « l’incitation indirecte à commettre une infraction terroriste ».

Pour le SAD, ainsi que pour la CNE et la Ligue des droits de l’homme, cette nouvelle infraction était loin de revêtir les caractères de précision et de clarté, exigés tant par la Constitution que par la Convention européenne des droits de l’homme, en matière pénale. Elle est également extrêmement dangereuse pour les libertés de penser et de s’exprimer.

En effet, que signifie « inciter au terrorisme » si l’on admet que les propos tenus ne doivent pas en eux-mêmes inviter à la violence ou à la haine ? Que recouvre « l’incitation indirecte au terrorisme » lorsqu’il n’est pas requis qu’il soit question d’un acte terroriste précis, ou même indéterminé, et encore moins qu’il ait été commis ou soit en voie de commission ? Comment pouvoir prévoir qu’un discours pourrait être interprété comme « incitant indirectement au terrorisme » ? La critique radicale de la politique de nos « alliés », par exemple, restera-t-elle possible ?

L’adjectif « indirecte » a ici toute son importance. La Cour constitutionnelle estime que cela ne pose cependant pas de problème. Elle expose que :

« « Inciter » signifie pousser quelqu’un à faire quelque chose (en néerlandais : aanzetten). En conséquence, il ne suffit pas que le message diffusé ou mis à la disposition du public préconise directement ou non la commission d’infractions terroristes et crée le risque qu’une ou plusieurs de ces infractions puissent être commises. Il faut encore qu’il soit prouvé que la personne qui diffuse le message ou le met à la disposition du public ait eu pour intention de pousser autrui à commettre une infraction terroriste (…)
 « Préconiser » signifie recommander vivement (en néerlandais : aansturen). En incriminant le comportement qui préconise directement ou non la commission d’infractions terroristes, la disposition attaquée permet à la personne qui diffuse le message ou le met à la disposition du public de savoir qu’elle se met en infraction, que ce message dise clairement (préconisation directe) ou non (préconisation indirecte) que des infractions terroristes doivent être commises, ce qu’il appartient au juge d’apprécier en fonction de tous les éléments de la cause ».

Oui mais : comment pousser indirectement quelqu’un à faire quelque chose ? comment démontrer l’intention d’une personne qui n’a pas formulé de message de violence ou de haine ? comment recommander vivement mais indirectement ?

Le SAD regrette la trop large marge d’appréciation laissée au juge du fond dans ce domaine du terrorisme. L’histoire nous a déjà démontré que les interprétations divergentes étaient trop aisées, ce qui nuit à la sécurité juridique. Par ailleurs, le « terrorisme » est une notion compliquée, qui touche parfois à la politique. Ce mot véhicule également tellement de peur et d’appréhensions qu’il est nécessaire d’encadrer clairement ce qui est répréhensible et/ou ce qui ressort des libertés de penser et de s’exprimer.

CC 28.01.2015

L’opacification de la procédure devant le Conseil du Contentieux des Etrangers: les entraves grandissantes au droit au recours effectif des étrangers en Belgique

11 septembre 2014 –

Par définition, les étrangers ne connaissent pas les lois belges et l’adage « nul n’est censé ignorer la loi » ne devrait pas leur être appliqué.

Pourtant, le « droit des étrangers » est devenu une branche juridique extrêmement technique, chaque modification législative apportant son lot de nouvelles règles procédurales n’améliorant que rarement l’efficacité du traitement au fond des recours.

Tout dernièrement a été votée la loi du 10 avril 2014 portant des dispositions diverses concernant la procédure devant le Conseil du Contentieux des étrangers et devant le Conseil d’Etat.

Cette nouvelle législation complexifie encore les règles de calcul du délai dans lequel les recours doivent être introduits (5-10-15 ou 30 jours), celles déterminant le caractère suspensif ou nom des recours ainsi que les règles permettant de faire valoir de nouveaux éléments.

Le travail des défenseurs des étrangers devient impossible. Le SAD s’interroge : qu’est-ce qui justifie ces modifications incessantes de procédure dans un sens toujours plus restrictif de l’accès à un juge pour les étrangers ? La volonté de les rejeter hors de nos frontières sans même examiner leurs demandes ?

Le SAD a dès lors décidé d’introduire un recours à la Cour constitutionnelle.

Les chausse-trappes de la procédure devant le Conseil du Contentieux des Etrangers avalisés par la Cour constitutionnelle

17  juillet 2014 –

Dans une loi du 31 décembre 2012 portant dispositions diverses, spécialement en matière de justice, le législateur avait une nouvelle fois modifié les règles de procédure devant le Conseil du Contentieux des Etrangers (ci-après CCE).

Jusque-là, les requérants disposaient de quinze jours à dater de la réception du pli du greffe du du CCE pour transmettre leur mémoire en réplique.

Toutefois, il est vrai qu’un tel mémoire n’était pas toujours nécessaire. Dès lors le législateur a permis au requérant de se contenter, dans cette hypothèse, d’informer le greffe du fait qu’il ne souhaite pas déposer cet acte de procédure mais qu’il maintient cependant son intérêt au recours.

Oui mais voilà, au lieu de maintenir le délai de 15 jours pour ce faire, le législateur a « dédoublé » ce délai. Dorénavant, les requérants ont 8 jours pour faire savoir au greffe s’ils ont l’intention ou non d’introduire un mémoire en réplique. Ensuite, s’ils ont manifesté ladite intention positive, ils disposent d’encore 8 jours pour le faire.

Pourquoi raccourcir ce délai à 8 jours ? Pourquoi ce dédoublement qui oblige les avocats à procéder à deux envois par recommandé, à leur frais lorsqu’ils interviennent pro deo ou pro bono ? Quel est l’intérêt pour le greffe du CCE à devoir traiter encore plus de courriers ?

Le SAD considère que cette complexification inutile de la procédure devant le CCE constitue une nouvelle entrave procédurale injustifiée en droit des étrangers mais également aux droits de la défense en instaurant un formalisme excessif dans la procédure devant le CCE.

Malheureusement, le 17 juillet 2014, la Cour constitutionnelle a rejeté le recours du SAD au motif notamment que :

« B.11.1. La spécificité, l’accroissement et l’urgence du contentieux né de l’application de la loi du 15 décembre 1980 justifient l’adoption de règles particulières, propres à accélérer le traitement des recours auprès du Conseil du Contentieux des étrangers » .

Ce serait donc la nécessaire rapidité à traiter les recours qui justifierait le double délai critiqué par le SAD. Cette justification ne convainc pas dès lors que, d’une part, le CCE ne traite pas en trois mois les recours qui lui sont soumis, comme c’est prévu par la loi, et, d’autre part, que le délai de 15 jours subsiste mais nécessite, pour pouvoir en bénéficier, un envoi par pli recommandé supplémentaire. En quoi dès lors le double délai accélère-t-il le traitement des recours ?

Non à la dérive sécuritaire au nom de la lutte contre le terrorisme: recours contre la loi du 18 février 2013 instituant l’infraction d’ « incitation indirecte » au terrorisme

16 juillet 2014 –

Alors que les associations de défense des droits de l’homme réclament depuis des années une évaluation des législations antiterroristes, que l’arsenal juridique actuel est amplement suffisant pour viser l’ensemble des comportements mettant en danger la société et que les juridictions belges ont déjà du mal à cerner le contour des infractions terroristes introduites dans le Code pénal en 2003, le législateur a voté une loi instituant une nouvelle infraction : « l’incitation indirecte au terrorisme ».

L’article 140bis du Code pénal prévoit dorénavant que :

 « Sans préjudice de l’application de l’article 140, toute personne qui diffuse ou met à la disposition du public de toute autre manière un message, avec l’intention d’inciter à la commission d’une des infractions visées à l’article 137, à l’exception de celle visée à l’article 137, § 3, 6°, sera punie de la réclusion de cinq ans à dix ans et d’une amende de cent euros à cinq mille euros, lorsqu’un tel comportement, qu’il préconise directement ou non la commission d’infractions terroristes, crée le risque qu’une ou plusieurs de ces infractions puissent être commises ».

Que faut-il entendre par là ? Nul ne le sait vraiment !

Mais ce texte permet à un Juge de condamner à 10 ans d’emprisonnement un individu en raison de propos tenus, même non-violents, que le Tribunal considérerait comme créateur d’un risque de commission, par une autre personne que ledit individu ne connaîtrait même pas, d’une « infraction terroriste », même si celle-ci n’est jamais commise, même sans tentative d’attentat, ni même élaboration d’un projet criminel quelconque.

Il s’agit dès lors d’une incrimination particulièrement dangereuse pour la liberté d’expression, puisqu’une personne pourrait être condamné à dix ans d’emprisonnement pour la seule expression d’une idée.

Le SAD, avec la Ligue des droits de l’homme et le Centre national des employés, a dès lors décidé d’introduire un recours en annulation devant la Cour constitutionnelle.

Une audience se tiendra ce 8 octobre 2014 afin d’entendre les parties.