Le SAD, la LDH et l’ASM incitent les citoyens à interroger les politiques pour sauvegarder une Justice efficace et indépendante

Dans une carte blanche publiée le 13 novembre 2025 (https://www.lesoir.be/710597/article/2025-11-13/droits-et-libertes-ne-laissons-plus-les-politiques-eluder-la-question), le Syndicat des Avocats pour la Démocratie (SAD), la Ligue des Droits Humains (LDH) et l’Association Syndicale des Magistrats (ASM) dénoncent l’affaiblissement systématique du pouvoir judiciaire. Cette rupture de l’équilibre des pouvoirs devrait tous nous inquiéter! Sans cet équilibre, les droits individuels et collectifs ne sont plus protégés. Ce qui se passe outre-Atlantique devrait tous nous alarmer au plus haut point. Voici le texte de la carte blanche:

On entend souvent, dans la bouche des avocats et des magistrats, parler de « l’Etat de droit ».  C’est un concept qui peut paraitre abstrait mais qui se trouve au cœur de la Démocratie. Que veut-il dire ?

L’« Etat de droit », cela signifie, simplement, que le pouvoir ne doit pas être concentré entre les mains d’un seul individu ou organe, qu’il doit exister des mécanismes pour garantir que les uns ou les autres n’abusent pas de leur pouvoir et que les droits de chacun soient respectés. En Belgique, le « parlement » vote les lois et exerce un contrôle politique sur l’exécutif. L’exécutif doit exécuter de bonne foi les lois. Le pouvoir judiciaire contrôle que tous respectent la Constitution, les Conventions internationales et les lois.

Ce système n’est pas né par génération spontanée. Il est le fruit de nombreuses luttes menées par les peuples pour obtenir une société plus juste. Elles ont permis, d’abord, que les gens acquièrent des droit – comme le droit à un salaire minimum ou les congés payés – et, ensuite, que les gens puissent les faire respecter. Comment ? En disposant d’un recours effectif devant les Cours et Tribunaux.

Les Cours et Tribunaux sont les garants, pour les citoyens, de l’exercice effectif de leurs droits. Les magistrats du ministère public ont le devoir de poursuivre les « criminels » pour assurer la sécurité de chacun.  Les Cours et Tribunaux sont là pour statuer sur les litiges qui opposent les citoyens à l’Etat belge (exécutif, législatif et même judiciaire) ainsi que sur ceux entres personnes privées. Des procès ont lieu quotidiennement dans tous les domaines de la vie en société. N’importe qui peut un jour faire face à un problème impossible à résoudre à l’amiable. Il est donc essentiel, pour nous citoyens, de pouvoir avoir accès à une justice de qualité.

Pourtant, les politiques n’ont cessé d’adopter des lois, des budgets et des comportements qui amoindrissent drastiquement la capacité du pouvoir judiciaire à assumer ses compétences constitutionnelles. En pratique, cela signifie que les gens ne peuvent plus obtenir une résolution de leurs problèmes dans un délai raisonnable.

Pire, ces derniers temps, l’exécutif a publiquement annoncé qu’il n’allait pas respecter certaines décisions qui le dérangent.

C’est grave. Dans son rapport 2025 « L’État de droit et les droits humains en Belgique », l’Institut fédéral des droits humains (IFDH), organe indépendant créé pour surveiller la situation des droits humains en Belgique, tire une sonnette d’alarme. Le rapport pointe notamment la non-exécution des décisions de justice par les autorités belges, l’insuffisance chronique des moyens financiers de la Justice, impliquant un arriéré judiciaire inacceptable, la tendance claire à transférer des compétences en matière de maintien de l’ordre et de lutte contre la criminalité du pouvoir judiciaire vers les administrations.

L’affaiblissement progressif mais systématique du pouvoir judiciaire constitue un cercle vicieux. L’exécutif ne donne pas les moyens à la Justice pour remplir ses missions. La Justice est blâmée de « ne pas faire son travail ». Ses compétences lui sont retirées au profit de l’exécutif. Les citoyens ne disposent plus de recours effectifs, rapides et financièrement abordables. Les crimes et délits ne sont plus investigués pour « défaut de capacité d’enquête », alors même que l’investigation des fraudes sociales/fiscales devrait rapporter de l’argent au Trésor.

Cet affaiblissement est catastrophique pour nos droits et libertés. L’exécutif est, par définition, partisan. Ses décisions ne résultent pas d’organe dont l’indépendance et l’impartialité est garantie au travers d’un statut protecteur. Les citoyens ne bénéficient pas du droit au procès équitable devant les administrations.

Au stade critique de délabrement (bâtiments, ressources humaines ou informatiques) auquel nous sommes arrivés, il faut oser poser ces questions : l’affaiblissement continu du pouvoir judiciaire est-il délibéré ? est-ce le choix qu’en tant que société nous souhaitons faire ?

Il s’agit d’une voie extrêmement dangereuse qui signe la fin de la Démocratie. Concentration de pouvoir, affaiblissement des contrepouvoirs, concentration de richesse, pauvreté, injustice, inégalités ne mènent à rien de bon. Tout cela entraine repli sur soi, haine et violence. Nous devrions apprendre de l’Histoire et agir quand il est temps. Nous devrions prendre au sérieux ce qui se passe outre-mer, où Trump viole quotidiennement le cadre démocratique. Politisation du judiciaire et refus d’obéir aux décisions de justice y impliquent détournement des fonds publics, licenciement massif dans les administrations, destruction des services publics, destruction des agences fédérales de contrôle (finance/travail/environnement), expulsions illégales, arrestations et détentions arbitraires, y compris de citoyens américains, armée dans les rues, violation de la liberté d’expression, etc.

Il est encore temps de préserver, ici, l’Etat de droit. Exigeons du politique qu’il garantisse le refinancement de la Justice à la hauteur des besoins de ce troisième pouvoir, nécessaire pour vivre en Démocratie, indispensable pour garantir l’exercice de tous nos droits. L’actualité nous prouve en effet, encore une fois, qu’allouer des fonds relève de la volonté politique. Le rapport de l’IFDH rappelle que « le budget du système judiciaire belge est inférieur à la moyenne européenne (…) la Belgique consacre seulement 0,22 % de son PIB à la justice » (p.19), alors que le gouvernement vient de s’engager à dépenser 5% du PIB pour la Défense, vingt-trois fois plus ! Tout est une question de priorité. La préservation de l’Etat de droit devrait être l’une des premières.