Interpellation du parti « Les Engagés » à propos de deux projets de loi antidémocratiques

Le SAD, comme bien d’autres associations défendants les droits et libertés fondamentales, est particulièrement inquiet de deux avant-projets de loi portés par un gouvernement dont l’action, à bien des égards, s’inscrit dans une philosophie dont le plein potentiel peut actuellement s’observer aux Etats-Unis.

L’avant-projet de loi Quintin et celui relative aux visites domiciliaires pour arrêter les étrangers en situation irrégulière, décrit par l’office des étrangers comme dangereux pour l’ordre public, constituent une dérive vers l’autoritarisme, une instrumentalisation de la justice et des mesures déraisonnables au regard des buts prétendument recherchés pour leur adoption.

Le SAD a dès lors décidé d’interpeller le parti des Engagés. Voici le texte de cette interpellation :

« Je vous écris au nom du Syndicat des Avocats pour la Démocratie, alerté par le contexte international, européen, flamand, mais aussi belge francophone, afin de vous faire part de nos très vives préoccupations concernant deux projets de lois qui nous paraissent antidémocratiques.


Au niveau international, la situation aux Etats-Unis d’Amérique (USA) apparait plus qu’alarmante. Les politiques de droite qui y sont menées sont catastrophiques pour les populations les plus vulnérables. La situation des nantis prospère. La corruption se déploie. L’autoritarisme s’installe au plein jour. La garde nationale est réquisitionnée sans raison pour attaquer des villes démocrates. Le Président appelle l’armée à faire de ces villes des « terrains d’entrainement ». Les mécanismes de contrôle s’affaiblissent, voire disparaissent. La presse est mise sous intense pression. Le pouvoir législatif est paralysé, sous l’emprise d’un Président dont les facultés cognitives peuvent pourtant être mises en doute. Le pouvoir de l’exécutif ne cesse ainsi d’augmenter, au détriment des principes fondamentaux de la démocratie.

L’Europe, dont la Belgique, connait une triste tendance à prendre la même direction que celle de ce pays qui se prétend être le « meilleur du monde », quand bien même les Américains décèdent par milliers en raison de l’absence d’accès aux soins de santé les plus élémentaires.


Pour le SAD, 
ce qui se passe actuellement aux USA devrait constituer un « rappel à l’ordre » pour tout un chacun. La démocratie est fragile. Les contrepouvoirs sont indispensables. L’exécutif doit être limité dans ses habilités à gérer la vie des individus, personnes physiques comme morales. Le pouvoir judiciaire doit être respecté et entretenu de manière à pouvoir constituer un rempart efficace contre les dérives autoritaires. Le droit au procès équitable, dans toutes ses implications, doit être préservé. 

Telles sont les raisons pour lesquelles le SAD se permet de vous demander instamment de refuser d’entrer dans le jeu d’une « extrême droite » qui, même en Belgique, est décomplexée. Les attaques contre l’Etat de droit sont de plus en plus en plus évidentes, tel le refus affiché d’exécuter les décisions de justice. Les discours racistes ou populistes, prétendant au travers de slogans simplistes, appelant à de bas instincts d’exclusion ou de supériorité, répondre à des problèmes éminemment complexes, ne cessent d’augmenter.

Face à ces phénomènes, il apparait essentiel au SAD de continuer à diffuser et défendre les valeurs de pluralisme, d’égalité et de solidarité et de refuser, avec ténacité, de mettre le pied dans un engrenage autoritariste qu’il pourrait être impossible d’ensuite stopper.

Pour le SAD, le projet de loi Quintin est éminemment antidémocratique. Il constitue un risque indubitable pour la liberté d’expression et d’association. Les conditions de sa mise en œuvre relèvent du droit pénal. Les notions évoquées sont floues. Les sanctions que le projet permet sont drastiques. Elles relèvent de la panoplie qu’un juge peut appliquer. Elles sont pourtant prises par l‘exécutif, instance qui ne présente pas de garanties d’indépendance et d’impartialité. Encore, pourquoi forcer les personnes à se défendre après qu’une sanction injuste ait été prise, plutôt que de garantir un processus équitable avant l’adoption de telles sanctions ? Les prétendues garanties figurant dans le projet Quintin n’en sont en effet pas. Cette loi, qui a supposément pour objectif de protéger l’État de droit, en viole les principes de base : la séparation des pouvoirs. L’Institut fédéral pour la protection des droits humains, organisme indépendant, dénonce ainsi un impact disproportionné sur la liberté d’expression et d’association (cf. https://institutfederaldroitshumains.be/fr/avis-sur-une-interdiction-dorganisations-considerees-comme-extremistes-ou-radicales-et-dangereuses). Ce projet de loi est un précédent dangereux qui permettrait d’interdire toutes sortes d’organisations issues de l’ensemble de la société civile. Les moins fortunés/éduqués ne disposeront pas de recours effectif, en droit comme en pratique. Il peut d’ailleurs être souligné que ce type de loi est mis en avant par des leaders politiques tels que Trump aux États-Unis ou Orbán en Hongrie, qui cherchent à criminaliser l’antifascisme et d’autres mouvements sociaux. Pour le SAD, ce projet est clairement liberticide. Il ne convient pas de donner plus de pouvoir à l’exécutif pour répondre aux problématiques évoquées pour le justifier, il faut renforcer le pouvoir légitimement appelé à y répondre : le pouvoir judiciaire.

Dans la même veine, le projet de loi permettant des rafles au domicile des personnes migrantes, ainsi qu’aux domiciles d’hébergeur·euse·s solidaires de personnes migrantes, apparait contraire aux valeurs démocratiques. Il constituera un précédent dangereux concernant cette protection constitutionnelle (art. 15). Il s’agit également d’une triste instrumentalisation de la justice. Les juges d’instruction ne sont pas formés dans cette matière extrêmement technique qu’est devenue le droit des étrangers. Ils sont déjà surchargés de travail. De plus, le projet aura pour conséquence que les étrangers n’oseront plus essayer de régulariser leur situation, même s’ils ont des enfants. Ils prendraient alors le risque de perdre leur logement en cas de décision négative. Or, l’Office des étrangers prend de nombreuses décisions illégales. L’arrêt Sahiti contre Belgique rendu par la Cour européenne des droits de l’homme ce 9 octobre 2025 en est une parfaite illustration. La Belgique est condamnée pour avoir violé le droit à la vie privée et familiale du requérant parce qu’il « suffit à la Cour de constater que les autorités compétentes n’ont toujours pas statué de manière définitive sur la demande d’autorisation de séjour introduite par le requérant il y a quinze ans, en dépit des nombreux recours exercés et des arrêts rendus par le CCE annulant les décisions négatives de l’OE » (§.84). Mesdames, Messieurs, sans résoudre aucunement « le problème de l’immigration illégale », ce projet de loi rendra encore plus vulnérable une population de plus en plus souvent présentée comme à l’origine de tous les maux de nos sociétés. Vous ne pouvez pas ignorer que tel n’est pas le cas. La disparité de la répartition des richesses constitue une cause bien plus importante tant des phénomènes migratoires que des difficultés rencontrées par nos Etats démocratiques. Criminaliser et effrayer cette population vulnérable n’est pas une solution. Si l’on veut lutter contre les séjours irréguliers, ne serait-il pas plus efficace de contrôler les sociétés actives dans les domaines qui emploient notoirement cette main d’oeuvre bon marché ? Myria, organisme indépendant, a analysé et critiqué le projet de loi sur les visites domiciliaires pour arrêter les étrangers (cf. https://www.myria.be/files/2025_MYRIA_Avis_avant-projet_de_loi_visites_domiciliaires.pdf). Son évaluation est sans appel.

Ces deux projets, Mesdames, Messieurs les responsables politiques, ne peuvent être déliés d’un contexte global de montée de l’autoritarisme et de durcissement des politiques migratoires. L’humanisme et la raison perdent gravement du terrain. N’est-ce pas s’aveugler et dénier leur humanité aux migrants, en effet, que de prétendre que la Tunisie, le Maroc ou l’Egypte seraient des pays tiers surs, comme l’Europe vient de le faire ? Comment une personne raisonnable, face aux rapports concordants des ONG dénonçant les graves violations des droits humains dans ces Etats, et notamment des migrants, peut-elle le soutenir ?  

Le SAD est extrêmement inquiet de ces dérives, qui l’une après l’autre pavent la voie de l’extrême-droitisation de la société. Les projets de lois dont question constituent clairement un pas dans cette mauvaise direction. Il s’agit, pour le SAD, d’une ligne rouge à ne pas franchir. S’agit-il vraiment du projet de société qu’entend défendre les Engagés?

C’est la raison pour laquelle le SAD vous demande instamment de refuser de voter ces lois liberticides ».