Les barreaux et
organisations de défense des droits des avocats soussignés expriment leur profonde
préoccupation concernant la détention de l’avocat Ruken Gülağacı le 20 mai
2025. Le 21 mai, le juge de paix pénal a émis une ordonnance d’assignation à
résidence à l’encontre de Mme Gülağacı – une escalade alarmante qui ne fait
qu’aggraver notre inquiétude.
Mme Gülağacı est membre
du barreau d’Istanbul et membre du conseil d’administration de l’Association
des avocats pour la liberté (Özgürlük için Hukukçular Derneği – ÖHD), et
représente fréquemment des universitaires, des avocats et des hommes politiques
kurdes. Elle est également un membre actif de la Fondation pour la société et
les études juridiques (TOHAV), un membre du conseil d’administration de
l’Association européenne des juristes pour la démocratie et les droits de
l’homme dans le monde (ELDH) et défenseur des droits de l’homme en Turquie.
Dans la soirée du 20
mai 2025, Mme Gülağacı a été arrêtée par des policiers alors qu’elle se rendait
à la prison de Kandıra pour rencontrer son client. Elle a passé la nuit au
poste de police et a été transférée le lendemain au tribunal de Çağlayan, où
elle a fait sa déposition devant le procureur à environ 3 heures du matin.
Selon les avocats qui
accompagnent Mme Gülağacı, l’interrogatoire du Procureur visait directement ses
activités professionnelles. Elle a été interrogée sur les clients qu’elle représente
et ses rencontres avec eux – des actions qui font partie intégrante des
missions d’un avocat. Il était évident que son travail professionnel légal, et
par extension son droit à la liberté d’expression et d’association, était criminalisé.
À la suite de son
interrogatoire, le procureur a déféré Mme Gülağacı au juge de paix pénal avec
une demande de contrôle judiciaire sous la forme d’une assignation à résidence.
Une assignation à résidence a été délivrée par défaut, sans qu’elle ne soit
présentée à un juge, et uniquement sur la base de documents. Aucune
justification écrite n’a été fournie pour cette décision, en contradiction
directe avec la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et en dépit de la requête
de son conseil de comparaître en personne. Cette décision, rendue sans respect
des garanties procédurales minimales, restera dans les mémoires comme une grave
atteinte à l’indépendance de la justice et un affront à l’Etat de droit.
Nous sommes
profondément préoccupés par le fait que l’arrestation de Mme Gülağacı et la
restriction de sa liberté soient directement liées à son travail d’avocate.
L’identification de Mme Gülağacı avec ses clients ou leurs causes est une
violation des normes internationales protégeant l’indépendance de la profession
juridique.
D’autres irrégularités
procédurales jettent un doute sur l’équité de la procédure : Mme Gülağacı n’a
pas été autorisée à se défendre en personne devant le tribunal ; et elle a été arrêtée
sans notification formelle préalable, alors qu’elle est une avocate en exercice
qui fréquente quotidiennement les Cours et Tribunaux. Ces facteurs à eux seuls
rendent la procédure d’arrestation défectueuse dès le départ et soulèvent de
sérieuses préoccupations quant au droit à un procès équitable.
Ces événements
s’inscrivent dans un contexte plus large et troublant. La Turquie est
actuellement témoin d’une répression sans précédent à l’encontre de la
profession juridique et de la société civile. A la suite des manifestations de
masse qui ont suivi l’arrestation du maire d’Istanbul, Ekrem İmamoğlu, des
centaines de manifestants ont été placés en détention, souvent sans accès à un
avocat ou respect des garanties procédurales. La représentation juridique des
dissidents politiques est de plus en plus considérée comme un acte criminel en
soi.
Les mesures prises à
l’encontre de Mme Gülağacı constituent une ingérence directe et dangereuse dans
le droit à la défense, entravent l’accès à la justice et criminalisent encore
davantage le travail des avocats représentant des dissidents. Il s’agit d’une
érosion de plus en plus importante des garanties d’une justice équitable et de
l’État de droit.
En tant qu’État partie
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Convention
européenne des droits de l’homme, la Turquie est tenue de veiller à ce que
personne ne soit soumis à une arrestation ou à une détention arbitraire et que
toute privation de liberté soit légale et justifiée. Le droit à un procès
équitable, y compris la présomption d’innocence et l’accès à une représentation
juridique, doivent être respectés à tout moment.
Conformément aux
Principes de base des Nations unies relatifs au rôle du barreau :
● Le principe 16 affirme que les avocats doivent
pouvoir s’acquitter de toutes leurs fonctions professionnelles sans entrave,
intimidation, harcèlement ni ingérence indue ;
● Le principe 18 prévoit que les avocats ne doivent
pas être identifiés à leurs clients ou à la cause de leurs clients dans le
cadre de l’exercice de leurs fonctions.
Nous, soussignés,
appelons les autorités turques à :
● Lever immédiatement et sans condition l’ordre
d’assignation à résidence à l’encontre de Ruken Gülağacı et ordonner la
libération de tous les autres avocats détenus uniquement pour avoir exercé leurs
devoirs professionnels ;
● Veiller à ce que la détention provisoire et
l’assignation à résidence ne soient appliquées qu’en tant que mesures
exceptionnelles et en dernier recours, dans le plein respect des procédures
régulières et du droit d’être entendu par un juge ;
● Mettre fin à toutes les formes de harcèlement,
d’intimidation et de détention arbitraire visant les avocats et s’abstenir
d’identifier illégalement les avocats avec leurs clients ou les positions
politiques ou sociales de ces derniers ;
● Signer et ratifier rapidement la Convention du
Conseil de l’Europe pour la protection de la profession d’avocat, renforçant
ainsi son engagement envers le cadre juridique international régissant
l’indépendance et la protection professionnels du droit.
Nous continuerons à
suivre de près le cas de Mme Gülağacı et la situation plus générale des
professions juridiques en Turquie.
Signataires :
● Asociación de Derecho Penitenciario “Rebeca Santamalia” – Estado español (ASDEPRES)
● Asociación Libre de
Abogacia (ALA) (Spain)
● Asociación Pro
Derechos Humanos de Andalucía (APDHA)
● Avocats Européens
Démocrates – European Democratic Lawyers
● Bologna Bar Association (Italy)
● CCBE – Council of Bars and Law Societies of Europe
● Cooperative of Women Lawyers in Barcelona (IACTA)
● Cyprus Democratic Lawyers Association (CDLA)
● Défense Sans
Frontière – Avocats Solidaires.
● Democratic Jurists (Italy)
● Democratic Lawyers of Switzerland (DJS-JDS)
● Deutscher Anwaltverein (German Bar Association)
● European Association of Lawyers for Democracy and World Human Rights (ELDH)
● Euskal Herriko Giza eskubideen Behatokia ( Basque Country)
● Foundation Day of the Endangered Lawyer (the Netherlands)
● Lawyer Leonardo Arnau, the Chair of the Human Rights Committee of Consiglio Nazionale Forense (Italy)
● Il Centro di Ricerca
ed Elaborazione per la Democrazia ( CRED) (Italy)
● Institut des Droits
de l’Homme du Barreau de Montpellier (France)
● Institute for the Rule of Law of the Union Internationale des Avocats
(UIA-IROL)
● International Association of Democratic Lawyers (IADL)
● International Observatory for Lawyers in Danger (OIAD)
● Lawyers for Lawyers (the Netherlands)
● Legal Centre Lesvos, (Greece)
● Legal Team Italia
● Le SAD – Syndicat des
Avocats pour la Démocratie (Belgium)
● MAF-DAD – Association for Democracy and International Law e.V.
(Germany)
● Osservatorio Avvocati Minacciati (Italy)
● Republikanischer Anwältinnen- und Anwälteverein (RAV e.V.) (Germany)
● Socialist Lawyers Association of Ireland
● The Defence Commission of the Barcelona Bar Association
● The Law Society of England and Wales (UK)
● The Norwegian Bar Association
● Turkey Litigation Support Project (TLSP)
● Turin Bar Association (Italy)
● Unione delle Camere Penali Italiane (UCPI)
● Vereinigung Demokratischer Juristinnen und Juristen e.V. (VDJ)
(Germany)
● Vereniging Sociale Advocatuur Nederland (VSAN) (the Netherlands)