Courte analyse de l’arrêt du 10 juin 2021 annulant l’augmentation des droits de rôle

Courte analyse de l’arrêt du 10 juin 2021 annulant l’augmentation des droits de rôle

La Cour constitutionnelle s’est prononcée, le 10.6.2021, sur le recours introduit par plusieurs membres de la Plateforme Justice pour Tous[1] (PJPT) contre la loi du 14.10.2018 réformant les droits de greffe[2].

Elle a annulé l’augmentation des droits de rôle pour les justiciables dont les revenus se situent entre les anciens et les nouveaux seuils de l’aide juridique, dont la cause a été inscrite au rôle entre le 1.2.2019 et le 31.8.2020, qui ont fait l’objet d’une condamnation au paiement des droits de mise au rôle au plus tard le 31.8.2020.

  1. Le coût de l’exercice du droit à l’accès au juge peut représenter une charge considérable, voire impayable

Reprenant les observations du Conseil d’Etat et du Conseil Supérieur de la Justice dans le cadre des travaux préparatoires, la Cour a rappelé la charge financière totale liée à l’engagement d’une procédure judiciaire, et le fait que la pression financière sur les procédures judiciaires a systématiquement augmenté depuis plus de dix ans.

La Cour, pour la première fois, compare les frais de justice au revenu mensuel moyen des ménages. Elle retient que le coût total d’une procédure judiciaire (frais d’avocat et appel compris) peut représenter plus de 220 % du revenu mensuel moyen des ménages dont les moyens d’existence se situent juste au-delà du plafond fixé pour bénéficier de l’aide juridique avant la réforme de l’aide juridique par la loi du 31.7.2020[3]. Ces personnes, dont les revenus pour un isolé se situent entre 1026 € et 1517 €, et pour un ménage entre 1317 € et 1807 € (auxquels s’ajoutent 194,39 € par personne à charge), représentent un nombre non négligeable de justiciables, dit la Cour, « vu le revenu médian des ménages belges, mensuel estimé à un peu moins de 2000 € ».

La Cour juge par ailleurs, comme la Plateforme l’a toujours dénoncé, que ce coût peut constituer une charge excessive « quelle que soit (…) l’étape de la procédure à laquelle ces couts sont dus ». Le législateur avait en effet soutenu que l’augmentation des droits de rôle n’avait pas d’impact sur le droit d’accès à un juge, en déplaçant le paiement des droits de rôle du début à la fin de la procédure.

  1. L’annulation a une portée limitée

La Cour annule l’augmentation des droits de rôle[4] pour les justiciables dont les revenus pour un isolé se situent entre 1026 € et 1517 €, et pour un ménage entre 1317 € et 1807 € (auxquels s’ajoutent 194,39 € par personne à charge), dont la cause a été inscrite au rôle entre le 1.2.2019 et le 31.8.2020, qui ont fait l’objet d’une condamnation au paiement des droits de mise au rôle au plus tard le 31.8.2020.

Le paiement des droits de rôle est sollicité par le SPF Finances. Concrètement, le justiciable qui se trouve dans le cas de figure visé par l’arrêt peut solliciter l’application des droits de rôle applicables avant l’entrée en vigueur de la loi du 14.10.2018.

Depuis le 1.9.2020, la catégorie de justiciables visée par la Cour est bénéficiaire de l’aide juridique, de sorte qu’elle est dispensée du paiement des droits de rôle.

  1. Le travail de la Plateforme continue

La Plateforme est consciente que l’annulation prononcée par la Cour sera difficilement mise en pratique. Outre la question de l’information du justiciable, se pose la question de l’application rétroactive de l’arrêt et de la charge de la preuve qui incombe au justiciable, notamment pour démontrer les revenus de son ménage durant la période litigieuse.

La Plateforme salue toutefois l’arrêt commenté, en ce qu’il reconnait la pression financière importante représentée par les procédures judiciaires sur le budget d’une part non négligeable de ménage, et aboutit à une annulation partielle des normes attaquées. La Plateforme se réjouit que cette pression financière soit objectivée au regard du revenu médian[5].

Elle salue également la demande de la Cour, formulée à l’attention du législateur, de prendre en compte l’« inégalité relative des armes (…) pour adapter le cas échéant les règles relatives à l’aide juridictionnelle, compte tenu des coûts réels de la procédure. » Toute nouvelle réforme ayant pour effet l’augmentation globale des frais de justice devra s’accompagner d’une augmentation des plafonds de l’aide juridique.

Par contre, la Plateforme déplore le fait que la Cour juge « légitimes » les objectifs « de réaliser des économies budgétaires, de renforcer la participation raisonnable du justiciable aux frais de la procédure, et de promouvoir les formes alternatives de résolution des litiges » en augmentant les frais de justice. Il est en effet inadmissible que des économies budgétaires soient réalisées sur le dos du justiciable, que la justice soit financée par le justiciable, et que le non-accès au juge soit organisé afin de promouvoir les formes alternatives de résolution des litiges (non prises en charge par l’aide juridique).

La Plateforme réitère que la justice est un service public, qui doit être financé par le budget fédéral, afin qu’il soit accessible à tous.

[1] Le Syndicat des Avocats pour la Démocratie, l’Atelier des Droits Sociaux, le Réseau Belge de Lutte contre la Pauvreté, le Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté, la Ligue des droits humains et L‘Association Syndicale des Magistrats.

[2] Loi du 14.10.2018 modifiant le Code des droits d’enregistrement, d’hypothèque et de greffe en vue de réformer les droits de greffe, M.B. 20.12.2018.

[3] Entrée en vigueur le 1.9.2020

[4] La Cour résume comme suit les augmentations attaquées : « Les dispositions attaquées augmentent les droits de mise au rôle dans les procédures devant toutes les juridictions judiciaires, respectivement de 30, 31 ou 40 euros à 50 euros (une augmentation de 25 à 66,6 %) pour les justices de paix et les tribunaux de police, de 30, 60 ou 100 euros à 165 euros (une augmentation de 65 à 450 %) pour les tribunaux de première instance et les tribunaux de l’entreprise, de 210 euros à 400 euros (une augmentation de 90,5 %) pour les cours d’appel et de 375 euros à 650 euros (une augmentation de 73,3 %) pour la Cour de cassation. »

[5] Lorsque toutes les observations sont classées par ordre de grandeur croissante, le revenu médian est la valeur se trouvant au milieu. Par définition, 50% des observations sont inférieures à la valeur moyenne et 50% supérieures. Le revenu médian est beaucoup moins influencé par les extrêmes dans les réponses que le revenu moyen. Source : https://www.luttepauvrete.be/des-faits-et-des-chiffres/des-faits-et-des-chiffres-definition-pcm/